A PLACE I CAN CALL HOME
Série en cours - États-Unis, Vermont.

Ce projet reçoit le soutien de l’Institut Français, en partenariat avec la Région Pays de la Loire d’une part et la Ville de Nantes d’autre part.
Il reçoit également le soutien de l’État – Direction régionale des affaires culturelles (DRAC) des Pays de la Loire.
A Place I Can Call Home dresse le portrait de communautés rurales du nord-est des États-Unis qui font face à l’épidémie des opioïdes. Il documente le combat des personnes concernées par l’addiction et interroge le système politique responsable de cette crise. Le projet A Place I Can Call Home s’appuie sur les histoires personnelles, voire intimes d’hommes, de femmes et de familles touchées par l’addiction, pour penser le lien entre les trajectoires individuelles et les violences systémiques.
Ce travail documente le parcours de rétablissement, qui intervient le plus souvent, après la prison. Il donne à voir les ressources sur lesquelles les personnes peuvent s’appuyer et laissent entrevoir les failles et les menaces qui jalonnent ce parcours. En effet, le rétablissement comporte parfois des retours à la drogue : sortir de l’addiction aux opiacées reste une épreuve physique, psychologique, judiciaire et économique à laquelle peu de personnes sont préparées.





ORIGINES DU PROJET
Fin 2016, je suis
partie vivre pendant 6 mois au sein d’une maison de transition
américaine, qui accompagne, à leur sortie de prison, des personnes
souffrant d’addiction. Ce n’était pas la première fois que je
choisissais le - vivre avec - comme mode d’exploration du monde et
processus créatif. (À ce sujet : lire
la correspondance que j’ai tenu durant ces 6 mois). Je développe ce travail depuis 2019. Il est le
fruit d’une immersion de six années au sein de la petite ville
désindustrialisée de Rutland, située dans le Vermont, au nord-est
des États-Unis.


CONTEXTE
En 1968, Richard Nixon, alors président des Etats-Unis, décide de faire la guerre à la drogue (War on drugs). Au début des années 70, une politique répressive se déploie aux États-Unis. Elle vise le cannabis et l’héroïne, dont les principaux consommateurs sont respectivement la jeuness pacifiste de la contre-culture et les afro-américains. En 2016, l’un des proches de Nixon témoigner que le gouvernement de l’époque avait ciblé ces drogues pour avoir une prise juridique sur une jeunesse qui le dérangeait.
Plus tard, des discriminations raciales et sociales allaient continuer d’opérer, cette fois-ci entre une population afro-américaine consommatrice de crack et une autre plus respectable, à la peau plus claire, consommatrice de cocaïne. En effet, il y a peu, une personne arrêtée en possession de cinq grammes de crack était automatiquement emprisonnée pour cinq ans, sans possibilité de libération conditionnelle, tandis que pour la cocaïne, la jauge était fixée à 500 grammes. Pourtant, la molécule est la même. L’arsenal juridique américain s’est donc bâti, non pas sur la base de la dangerosité des drogues en elles-mêmes, mais bel et bien en fonction des consommateurs de ces drogues qui représentaient pour les gouvernements successifs une menace à l’ordre économique et social.
Fin des années 90, l’industrie pharmaceutique américaine persuade peu à peu, à grand renfort de publicités, médecins et patient.es que ses nouveaux antidouleurs répondant au nom de OxyContin, Fentanyl ou Percocet sont révolutionnaires. Ces médicaments sont des dérivés de l’oxycodone, un analgésique puissant classé comme stupéfiant par l’OMS. Au début des années 2000, le nombre de prescriptions explose, celui des overdoses également. Chaque année aux États-Unis, 75 00 personnes décèdent par overdose, dont près de 50 000 sont des overdoses d’opioïdes. À ce jour, 500 000 personnes seraient décédées d’une prescription d’opioïdes.
Depuis 2016, on parle d’une crise, voire même d’une épidémie des opioïdes. Si toutes les catégories de population sont touchées, les plus fragiles, dont celle que l’on appelle les White Trash1, en font particulièrement les frais. Le Vermont détient malheureusement le record en pourcentage de l’augmentation des décès par overdose entre mars 2020 et mars 2021. Tandis qu’elles ont augmenté de 35% à l’échelle du pays, dans le Vermont, les overdoses létales se sont accrues de 85%.
Dans l’ombre de ces chiffres alarmants se cachent les personnes qui survivent à l’overdose, celles qui redoutent la suivante, les enfants retirés à leurs parents, les familles détruites, la prison.
Ces dernières années, d’autres drogues issues du marché noir se sont diffusées massivement à travers les réseaux des narco-trafiquants d’Amérique Centrale jusque dans les grandes métropoles américaines et les hubs des États ruraux, en premier lieu le Fentanyl. Certain.es consommateur.ices l’utilisent pur, d’autres à leur insu, celui-ci étant mélangé à d’autres drogues par les trafiquants.
1/ White trash signifie littéralement déchet blanc ou raclure blanche. C’est un terme d’argot américain désignant la population blanche pauvre.


INTENTIONS
A place I can call home est une recherche qui interroge les liens entre les trajectoires personnelles, le politique et les violences systémiques, dans un contexte d’épidémie des opioïdes. À l’appui de plusieurs corpus d’images, ce projet photographique documentaire propose des éléments de réflexion sur l’addiction, mais également sur ses conséquences individuelles et collectives.
L’épidémie des opioïdes, loin d’être anecdotique d’un point de vue historique, est imbriquée dans un vaste système qui comprend les inégalités nord-sud (narcotrafic), la pénalisation de la consommation de drogues (war on drugs), les violences systémiques (inégalités sociales, violences sexistes et sexuelles, racisme, etc.).
Historique, ne représente-elle pas la fin d’un système qui a définitivement échoué à prendre soin de ses concitoyens ? Encore faudrait-il que s’en fusse un jour le projet...
Dans le Vermont, des communautés, des familles et des individus ont décidé d’en découdre avec la crise. Par-delà les actions et dispositifs mis en place pour réparer ce qui peut encore l’être (centre de désintoxication, rehab, maison de transition, prescription de médicaments de substitution, groupe de parole et suivi thérapeutique), il y a les liens que l’addiction altère, la solitude qu’elle engrange.
![]()
Là-bas, dans des communautés rurales et autres villes désindustrialisées et déclassées, les traumas collectifs et individuels se confondent. Les paysages et les corps ont été affectés. Les communautés ont été ébranlées.
Quelles traces les paysages et les corps gardent-ils de ces traumas ? Réparer les liens est-il la condition préalable à toute forme de résilience collective et individuelle ? D’où vient cet élan qui permet parfois la guérison ? Voici quelques questions qui guident ma recherche photographique.



Le corpus d’images visible ci-dessous (extraits) est le fruit de collaborations avec des personnes rencontrées dans les maisons de transition de la ville de Rutland. Les textes sont issus des nombreux témoignages que j’ai récoltés depuis 2017. Au départ de cette série, il y a une question “Si l’addiction était un objet, que serait-elle et pourquoi ?”. Lorsque j’ai donné vie à ces images en octobre 2022, le processus créatif m’a parfois éloignée de la question de départ, pour mieux raconter, dans toutes ses dimensions, ce que c’est que de vivre avec une addiction.

When I return to drugs, my only obsession is to get high. No matter what. I know that death lurks, but it's a risk I don't think about in those moments, because I'm no longer myself. I don’t care... I become a monster. (…) What I lost to drugs... it's killing me... The isolation and shame that addiction causes are the hardest things to deal with. (…) When I don't do drugs, I Am a hard worker who take care of his family. That's how I want to show up to the world.

The problem is that addiction is gonna bloom all over again, at least as long as you aren't gonna address what's behind it. Addiction is just a symptom. Addiction hides traumas, assaults, violence... You don't wake up in the morning thinking: “hey, I'm going to become addicted to opiates.” It's not a life plan. Most often, if we come to this it is to avoid the violence that we have suffered. Nothing more.

Life is not all beer and skittles. So isn’t recovery. Recovery is more like a roller coaster. It takes time, patience and support from loved ones and peers. I know that. I’ve done it once before. I know it’s gonna be hard to do it again but I really want it, for myself. And above all, I want to see my kids again. Some people do it, so why can’t I?

As a woman, addiction is both simpler and more complicated. Easier because we still have our bodies to sell if needed. It's horrible, it's disgusting but that's how it works. It's more complicated because we can find ourselves under the thumb of dealers who will use us as they want. At this point, the drug dealers own us. These traumas are then added to the traumas we have already suffered and which led us to drug in the first place. More complicated as I said...
Ce projet reçoit le soutien de l’Institut Français, en partenariat avec la Région Pays de la Loire d’une part et la Ville de Nantes d’autre part. Il reçoit également le soutien de l’État – Direction régionale des affaires culturelles (DRAC) des Pays de la Loire. En complément, ce projet a bénéficié en 2023 du soutien de personnes morales et physiques, dans le cadre d’une campagne de financement participatif.
Durant son développement, il a bénéficié de l’attention et du soutien de la galerie 77 Art basée à Rutland - Vermont et du Centre Photographique du Vermont.




